On lui doit le scénario du premier feuilleton sur Si Mohand Ou M’Hand, bientôt diffusé par la télévision algérienne.
Quel sentiment éprouvez-vous après avoir mené le travail d’écriture du scénario de ce feuilleton ?
Sincèrement, il n’est pas facile de rendre avec des mots un sentiment qui vous prend par la sublimité d’une culture abyssale, mais d’une culture qui est la vôtre et dont vous vous revendiquez fièrement. Aujourd’hui, Si Mohand est aussi vaste et généreux que cet orgueil qu’il réveille en nous. Faire communion de pensée et de sentiment avec ce poète d’exception, le temps de concevoir et de mettre sur papier le scénario, est un ensemble de moments que l’on ne peut pas décrire mais que l’on vit d’une façon particulière. Des moments faits, parfois de cette satisfaction d’avoir cerné le sujet, et quelquefois de cette crainte vague de l’avoir insuffisamment approché. Dans tous les cas de figure, Si Mohand Ou M’hand restera ce symbole qui traversera encore le temps. Je reste persuadé que chaque génération aura à faire un travail sur son œuvre et se demandera comment tirer des enseignements et des valeurs de sa poésie ou encore apprécier et mettre en avant la beauté amoureuse et la magie de ses vers. A chaque génération son regard, mais, Si Mohand en a guidé quelques-unes déjà…
Avez-vous eu la latitude de rendre toute la richesse historique et psychologique du personnage ?
Difficile à dire… Au départ, le pari à relever consistait à réussir, le temps et l’espace d’un feuilleton, de faire observer une halte à cet insaisissable poète. Toutes proportions gardées, je pense que l’essentiel du génie, du souffle et des péripéties du personnage ont été abordés à travers une écriture vivante, la majeure partie du temps. Il a fallu également ménager l’attractivité d’un produit télévisuel tel que le feuilleton et la rigueur doublée du solennel qu’exige de nous l’Histoire. C’est ainsi qu’avant l’arrivée des Français, la Kabylie, du temps des Turcs, c’est-à-dire celle des grands-parents de Si Mohand, a trouvé place dans les premiers épisodes. Et pour cette période, le clin d’œil à un Youcef Oukaci était inévitable (Ndlr : plus ancien poète kabyle connu, né vers 1680). Mais, il a fallu aussi, par exemple, que le suspense et les rebondissements susceptibles de caractériser la fin d’un épisode et le début du suivant soient intégrés. Ce qui, de prime à bord, n’est pas évident pour ce genre de thème. Cependant, l’avantage d’un feuilleton est tout ce temps qu’il vous libère pour traiter de votre sujet.
Il y a quand même dans votre cas vingt-cinq épisodes ?
Oui, chacun dure une quarantaine de minutes. Vous voyez qu’il y a du temps, mais ce temps il faut bien entendu le meubler de matière, et pas n’importe laquelle. Si Mohand est un sujet délicat et sérieux. Pour le rendre à l’écran, il faut être honnête avec soi-même et avec les autres. Il ne s’agit pas de soliloquer. Il ne faut pas oublier que tout autour du poète, il y a un milieu qui l’a éduqué et formé à sa culture, aussi bien de vie en temps relatif de paix, que de résistance en temps quasi-permanent d’agression et de guerre. On ne pouvait pas occulter des personnages de la trempe de Fadhma N’Soumer, Si L’Hadj Amar, Mohand Ouferhat des Aït Irathen, Si Mohand Ben Abderrahmane des Aït Mansour, Si Seddik Ouarab, puis, un peu plus tard, Cheikh Ahddad, Cheikh Mohand Ou L’Hocine, Fadhma Ait Mansour et Boulifa, sans oublier les poètes comme Bachir Amellah, Youcef Oulefki ou encore El Hadj Ouhouach. Ces phases principales d’évolution de Si Mohand étaient imprégnées de l’immense littérature orale comme des productions écrites des siens. Lettré qu’il était, il s’était nourri de toute la pensée kabyle, aussi bien philosophique que sociale, juridique et même politique. Le poète a été d’ailleurs amené à mettre cette littérature et cette pensée à l’épreuve de nouveaux espaces, dans le tourbillon de son errance sociale et spatiale provoquée par l’arrivée du corps expéditionnaire français dans son massif natal.
Traduire vingt-cinq épisodes du français au kabyle, c’est beaucoup de travail. Un double travail même…
Effectivement, pour asseoir l’écriture et proposer à la Télévision, il a fallu le faire en français. Jusqu’à maintenant, on procède de la sorte. Ensuite, vient tout le travail à accomplir en kabyle. Mais, à ce niveau, il ne s’agit pas de traduction. Vous entrez dans une tout autre phase : celle de la création des dialogues en kabyle. Nous passons, par conséquent, de la langue de Molière à la langue de Si Mohand. Deux registres tout à fait différents. Et comme nous avons commencé par la Kabylie de 1820, cela a nécessité pas mal d’efforts de recherche, y compris sur le langage, les expressions qui pouvaient avoir cours à cette époque mais qui sont moins usitées de nos jours et que, par conséquent, on aurait tendance à oublier. C’est valable aussi pour la période française qu’a vécue Si Mohand, et qui est pourtant plus proche de nous. Un exemple pour mieux nous situer : à cette époque précise, pour signaler l’arrivée des gendarmes français, les gens s’alertaient aux cris de : « ucanen, ucanen ! » (les chacals, les chacals !). Aujourd’hui, on dirait plutôt ijadarmiyen », qui est une reprise déformée du mot gendarme.
Peut-on dire de Si Mohand qu’il est un bon personnage pour l’écran ?
Force est de constater qu’il y a très peu de feuilletons ou de longs métrages sur les grands poètes du monde. Le fait qu’il y ait peu de feuilletons et de films longs métrages sur les grands poètes de ce monde est un tort porté à notre monde justement. La violence et les gangs se sont accaparés beaucoup d’écrans, la médiocrité aussi. Mais, que voulez-vous qu’ils inspirent de nos jours ? Quant à Si Mohand Ou M’hand, il est certainement un bon personnage de film, un personnage qui inspire de meilleurs sentiments. Notre poète est un témoin exceptionnel du XIXe siècle, un siècle où la colonisation en général a cru devoir et pouvoir façonner le monde à sa mesure. En face, Si Mohand était à la fois amour, révolte, errance, condition humaine, résistance…En déportation, Louise Michel et d’autres Français révolutionnaires de la Commune de Paris ont côtoyé la poésie de Si Mohand qui a été une continuité historique, sociologique et psychologique pour les nombreux kabyles déportés dans les bagnes, en Nouvelle-Calédonie et à Cayenne après 1871. A la même époque, Mohand Ou Abdoun, un des compagnons d’Arezki L’Bachir (Ndlr : tous deux grands bandits d’honneur), a vécu les affres du bagne avec le fameux « Papillon ». Il réussit à s’évader à deux reprises, ce qui était exceptionnel dans cet univers. Voilà ce que le cinéma gagnerait à montrer pour un monde plus proche de l’homme et de ses aspirations, faites de paix et d’amour en finalité. Il y a également d’autres personnages et thèmes de notre Histoire qui peuvent nous faire rattraper des années et des années de retard s’ils sont correctement portés à l’écran et voyagent à travers le monde. Nous accusons un déficit énorme sur le plan de l’image. Pour tout cela, consacrer le premier feuilleton en tamazight à Si Mohand est symbolique. Ce feuilleton sera certainement rentable pour nous sur le plan du comportement social et de l’image du pays.
Comment s’est faite votre rencontre avec le réalisateur Ammar Arab et comment s’est déroulé le tournage du feuilleton ?
La rencontre s’était tout simplement faite autour de notre passion partagée pour Si Mohand. Tout comme j’ai écrit mon ouvrage sur le poète avec le regard que l’on porte sur un aïeul de cette dimension, Ammar Arab a tenu à rendre Si Mohand à l’écran dans le même rapport à cette grandeur, avec, en prime, le souci de ne pas gâcher cette représentation que chacun d’entre nous se fait du personnage. Quant au tournage, c’est avant tout le travail du réalisateur, et cette fois, Si Mohand a eu la « chance » d’être confié à un professionnel qui a déjà produit pour la télévision nationale et les télévisions étrangères. Je n’ai malheureusement pas assisté à ces moments particuliers de la vie du film, occupé que j’étais à terminer mon dernier ouvrage, un roman historique sur les Nubel. J’avais arrêté auparavant l’écriture de ce livre pour me consacrer entièrement au scénario de Si Mohand. Il a fallu, par conséquent, rattraper tout ce temps-là. Vous voyez, je découvrirai donc le feuilleton en même temps que vous !
Repères :
Né le 14 décembre 1953 à Aït Khellili (Kabylie), Younès Adli est à la fois journaliste et écrivain. Il est licencié en sciences politiques de l’Université d’Alger et titulaire d’un DEA. en histoire et civilisations de l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales de Paris. Il prépare actuellement un doctorat à l’INALCO de Paris (Institut des langues et civilisations orientales). Militant de la cause amazighe, de la démocratie et des droits de l’homme, il avait été membre fondateur et premier directeur de la publication de l’hebdomadaire Le Pays-Tamurt. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le patrimoine culturel et l’histoire du pays et co-auteur de scénarios de films longs métrages et de feuilletons télé. Il est producteur de l’émission hebdomadaire « Notre histoire » et d’une chronique quotidienne intitulée « L’histoire au jour le jour » à la chaîne II de la radio nationale. Il est membre d’organisations internationales comme la FIJET (Fédération internationale des journalistes et écrivains du tourisme) et l’OMJET (organisation méditerranéenne similaire).
Saïd Gada