La Kabylie ancienne (2ème partie)

Concernant l’existence d’un pré-alphabet, des recherches ont montré que des caractères du libyque se retrouvent dans les peintures rupestres du Maghreb et du Sahara et constituent donc des avants-courriers de l’écriture libyque.

Bastion de la langue berbère, depuis toujours, la Kabylie recèle un important patrimoine de stèles libyques. Elle peut aussi se targuer d’avoir été la première à réhabiliter l’alphabet berbère, à le moderniser et à étendre son usage.

La période libyque

Les mots par lesquels on désigné les Berbères de l’antiquité (Libyens), leur pays (Libica), leur langue (libyque) viennent du nom que leur donnaient les Egyptiens, Lebu. Ces mots ont été repris et utilisés en même temps que d’autres (Africains, Numides, Maures) par les Grecs et les romains. Aujourd’hui, le mot Libye s’est restreint à l’Etat du même nom, quant à libyque, on l’emploie pour désigner le système d’écriture ancien des Berbères, ainsi que les stèles et les gravures autochtones de l’antiquité maghrébine et saharienne.

L’alphabet libyque

On sait aujourd’hui que le système d’écriture berbère, le libyque, remonte au moins au 6ème ou au 7ème siècle avant J.C. C’est, en effet, de cette période que date la plus ancienne inscription rédigée dans cet alphabet, l’inscription figurant sur la stèle de l’Azib n’ Ikkis, dans le Moyen Atlas marocain. Les chercheurs qui se sont penchés sur cet alphabet ont longtemps pensé qu’il provenait des alphabets sémitiques, notamment le phénicien. Le nom même de l’alphabet berbère, tifinagh, porterait les traces de cette origine : il proviendrait de la racine FNGH / FNQ, qui aurait donné, dans les langues sémitiques, le nom des Phéniciens, Finiqi.

Autre argument avancé à l’appui de l’hypothèse d’une origine sémitique, le fait que le libyque, comme les systèmes sémitiques, ne note que les consonnes. Troisième argument, on a fait remarquer qu’il n’ y a pas de système pré-alphabétique qui aurait servi de base à une évolution vers l’alphabet.

Ces arguments sont aujourd’hui battus en brèche puisque les recherches ont montré que le libyque, tout comme sa forme moderne, le tifinagh, a disposé de signes pour noter des voyelles. Le plus connu est le point (tagherit dans les tifinagh) qui note le a, mais d’autres signes ont noté égalemeunt le u et le i.

Le mot tifinagh ne peut être rattaché aux langues sémitiques pour la raison qu’il vient du…grec phoenici, terme signifiant ‘’rouge’’ à cause de la pourpre que fabriquaient les Phéniciens. Les Berbères ne pouvaient donc le tenir des Phéniciens qui devaient se nommer autrement.

M.A Haddadou, dans son ouvrage sur l’écriture berbère, a suggéré que la désignation autochtone des Phéniciens a pu être Himyarite, mot qui dérive de la racine sémitique H’MR, signifiant, comme phoenici ‘’rouge’’. Le mot tifinagh a toutes les chances d’être berbère : on l’a même rattaché au touareg nigérien asefinagh ‘’explicitation’’. La notion d’ ‘’explicitation’’ est ici liée à la légende d’un héros civilisateur qui, tout en révélant l’écriture aux hommes, a réservé la signification cachée des lettres aux seuls initiés.

Enfin, concernant l’existence d’un pré-alphabet, des recherches ont montré que des caractères du libyque se retrouvent dans les peintures rupestres du Maghreb et du Sahara et constituent donc des avants-courriers de l’écriture libyque. On sait déjà que l’art berbère utilise depuis longtemps un répertoire de symboles qui rappellent fortement les caractères libyques.

De l’alphabet libyque, dérive l’alphabet tifinagh, traditionnellement utilisé par les populations touarègues mais dont l’usage s’est étendu aux régions du nord, notamment la Kabylie, depuis le début des années dix-neuf cent soixante dix. On a repris les caractères de l’Ahaggar auxquels on a ajouté des signes pour noter les phonèmes du berbère nord qui n’existent pas en touareg.

Le système a été depuis affiné et, depuis l’ouverture démocratique en Algérie, il est utilisé dans la transcription des panneaux indicateurs et des enseignes officielles en Kabylie. On a souvent écrit que les tifinaghs, en raison de la particularité de leurs caractères ne peuvent être retenus comme système de transcription pour le berbère. Leur utilisation, depuis quelques années en Kabylie, a montré qu’il n’en est rien et que le caractère berbère a une forte attraction sur les masses. La Kabylie a ainsi montré la voie dans la réhabilitation de ce pan important de notre patrimoine.

Les stèles libyques de Kabylie

La Kabylie recèle déjà un important patrimoine dans le domaine des stèles libyques. La plupart des stèles sont connues depuis le dix-neuvième siècle et ont fait l’objet d’un travail de classification, notamment par J.B Chabot, dont son recueil des Inscriptions Libyques. D’autres stèles ont depuis été découvertes, souvent à la faveur de travaux de terrassement.

Certes, les stèles libyques sont moins nombreuses que d’autres régions, comme le Constantinois, par exemple, mais elles sont suffisamment présentes pour montrer que l’usage de la stèle, avec dessins et surtout caractères d’écriture, était courant dans la région. Comme ailleurs, on érigeait des stèles sur les tombes, pour rappeler le souvenir d’un défunt, pour commémorer un événement important ou alors pour faire un vœu à une divinité.

Les stèles kabyles utilisent des matériaux locaux, comme le calcaire ou le grès. La pierre est souvent travaillée, notamment polie, pour réduire les aspérités.

Une esquisse est ensuite réalisée, avant d’être gravée à l’aide d’un burin. Si certaines stèles sont assez frustres, d’autres, au contraire, comme la stèle d’Abizar, montrent un travail minutieux, où le moindre détail a son importance.

Rappelons que les spécialistes divisent l’art rupestre maghrébin et saharien en cinq périodes, correspondant à des styles différents.

La période la plus ancienne, dite période bubaline (-7500), est caractérisée par des représentations naturalistes où domine le bubale, une espèce d’antilope d’Afrique mais où on relève également d’autres animaux, pour la plupart disparus de nos contrées : l’hippopotame, l’éléphant, la panthère, la girafe, le bœuf antique… Les gravures et les stèles du Sud oranais appartiennent à cette période.

La seconde période est dite des ‘’têtes rondes’’ (-7000)à cause de la représentation stylisée, sous forme de rond, de la tête des personnages.

La période bovidienne (-7000 à -4500) est dominée, dans ses représentations animales, par le bœuf ainsi que des scènes de la vie pastorale et des scènes de chasse. La période caballine (3500 à -2000) est caractérisée par l’introduction du cheval, représenté souvent tirant des chars

Enfin, la période caméline, la plus récente, reproduit des chameaux, animal nouvellement apparu au Sahara. Les stèles kabyles appartiennent à la phase caballine, que l’on a pris également l’habitude d’appeler libyco-berbère, pour la distinguer des phases contemporaines du Sahara (caballine et caméline).

Elles sont caractérisées par la représentation de chevaux et de cavaliers, armés de boucliers ou de lances, avec des inscriptions libyques.

La plus connue de ces stèles est la stèle d’Abizar, dans la commune de Timizar, à Ouagnoun. Elle a été découverte en 1858 par M. Aucapitaine : elle servait de seuil à une maison ! Cette belle stèle, qui a été publiée à plusieurs reprises est gravée sur une dalle de grès de 11 m de large et de 1,25 m de haut. Elle représente un homme à cheval, portant à la main gauche un bouclier et trois javelots dont on voit les pointes. Le même personnage brandit de la main droite, la paume ouverte, avec entre les doigts et le pouce, un petit objet rond, peut-être une arme de jet, ou alors, comme on l’a supposé, une offrande.

Le personnage se présente de face, le tronc est plus long que les jambes. Le cheval est également plus petit que l’homme. Un petit personnage est représenté sous le bras de l’homme, au-dessus de la croupe du cheval. Il tient dans la main un bâton, dans lequel on a cru reconnaître un sceptre. Le cheval porte au cou deux boules dont on ignore la nature. En avant de la scène, on voit un chien et un oiseau, peut-être une autruche. A gauche de la stèle sont gravés quinze caractères libyques, répartis sur trois lignes : deux verticales et une horizontale.

La stèle de Soumaa, chez les Aït Zellal, dans la daïra de Mekla, présente des ressemblances avec celle d’Abizar : cavalier brandissant de la main gauche un bouclier et deux javelots et levant la main droite… Ces deux stèles célèbres sont aujourd’hui conservées au musée des Antiquités d’Alger.

Ce n’est pas le cas, hélas, de nombreuses autres stèles, que nous ne connaissons plus que par les notes et les descriptions des auteurs qui les ont découvertes. C’est le cas des stèles d’El Qalaa, à Yakouren, de Cherfa, à Tigzirt, , de Thala Khelf, à Tigzirt, etc.

Signalons aussi que des stèles sont régulièrement découvertes en Kabylie. En 2004 seulement, deux stèles ont été retrouvées au village de Tagounit, dans la commune d’Aït Yahia ! il est temps d’inventorier ce patrimoine, mais aussi de le protéger. Et pourquoi pas lancer la construction d’un grand musée des antiquité en Kabylie ?

(A suivre)

La Kabylie ancienne (1ère partie)

S. Aït Larba

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