Quand tamazight emprunte ”Iberdan n tissas” *

Sans tapage et n’en déplaise aux laborantins de la langue chargés de domestiquer tamazight et aux politiques vieillottes résolues à l’arabiser et à en faire le deuxième ‘’éléphant idéologique’’, nous assistons sans aucun doute à la naissance d’un kabyle (la langue) véhiculaire.

Un kabyle écrit qui, peu à peu prend ses distances avec la tradition orale pour tout simplement “bien rendre, comme le souligne Bouffon, ce qui a été bien pensé et bien senti.” Iberdan n Tissas, œuvre biographique et posthume de Messaoud Oulamara, est une publication, une de plus, qui, si besoin est, vient réaffirmer que le kabyle est une langue extirpable à la prépondérance poétique, à la glorification du patrimoine et à la sempiternelle thématique identitaire.

L’ouvrage et c’est une première depuis les balbutiements de la littérature d’expression amazighe, se veut un témoignage sur une succession de faits historiques dont l’auteur/narrateur a été le plus souvent témoin/acteur. Ecrit dans la langue de tous les jours, Ibedan n Tissas nous happe, dès la première phrase et nous plonge dans la vie mouvementée de l’auteur/narrateur, l’un des artisans du 1er Novembre en haute-Kabylie.

La magie est tout de suite opérée. Le lecteur est agréablement saisi par le ton de feu Oulamara qu’il accompagnera depuis Montgolfier (actuelle Rahouia, dans la wilaya de Tiaret), où il avait exercé le métier d’armurier en 1934, jusqu’à son arrestation par la gendarmerie à l’entrée de Aïn El hammam, le 8 août 1964. Ce faisant, le lecteur découvre des moments forts de l’histoire algérienne depuis l’Etoile Nord Africaine jusqu’à l’invitation de Oulamara de rejoindre le Conseil de la révolution de Boumediene en 1965.

On sera ainsi estomaqué et troublé par un évènement (page 140) qui mettra en cause Waâli Ben Aâtman, Aâmar At Hammuda, Mbarek At Mangellat et Aâbdelaziz At M’hend Saïd. Quelques pages plus loin, c’est la promotion des officiers de l’ALN que l’auteur dénoncera. «Llan deg-sen wid ur nwit ara arumi ula s wezru (parmi eux, des officiers n’avaient même pas lancé une pierre)», écrira-t-il à ce propos. En fait, Oulamara parlera d’une révolution menée par des hommes avec leurs faiblesses, leur courage, leur lâcheté, leur volonté, leurs ambitions, leurs péchés mignons et pas mignons…

Bref, Oulamara ne nous parlera pas de surhommes, de reliques et autres icônes tel que les canaux de l’histoire officielle décrivent les moudjahidine. Le récit et ‘’taqbaylit’’ du vieux maquisard sont tels que le périple à travers l’histoire contemporaine de la Kabylie révolutionnaire de Oulamara et de ses compagnons assiège émotionnellement.

Enthousiasme, bouleversement, crainte, trouble, gratitude, respect, admiration, chair de poule… saisissent le lecteur, dès la première phrase, “abrid-nni n wexxam ijadarmiyen, ughegh yides tannumi. Macci almi d ass-a (ce n’est pas aujourd’hui que j’emprunte pour la première fois la route qui mène à la brigade de la gendarmerie. Je suis un habitué)”, jusqu’à “ughalegh-d gher thanutt, lsigh abluz-nni n lxedma, kemlegh aseggem n tmukhelt i bdigh. (Je suis revenu à l’atelier, j’ai mis ma blouse et j’ai continué à réparer le fusil… “.

La dernière phrase qui termine le témoignage de Oulamara qui venait de rencontrer Chérif Belkacem. Ce dernier et au nom de Boumèdiene, invitait le vieux maquisard à rejoindre le Conseil de la révolution auquel l’auteur préfère son atelier. “La lecture n’est pas seulement une relation intellectuelle ou esthétique, c’est aussi un rapport sensuel.

Et cette sensualité procure tant de plaisir dans la rencontre du lecteur avec le texte”, apprécie un universitaire. Iberdan n tissas procure ce plaisir. Le lecteur palpite. Il est ravi et captivé jusqu’à oublier la langue narrative qui, comme n’importe quelle langue, se contente de véhiculer intelligemment ….l’histoire.

T. Ould Amar

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